Interview Exclusive : Un Head of Risk Management d’une société de gestion renommée
Une vision incarnée de la transformation du Risk Management au sein d’une maison de gestion en pleine croissance.
5/7/2025


Introduction
Nous avons eu le privilège d'interviewer un Responsable Risk Management au sein d’une société de gestion indépendante. Fort d'une carrière riche et exigeante, notre interlocuteur porte une vision moderne du Risk Management, à la croisière de la finance, de la technologie et de l'innovation opérationnelle. Depuis son arrivée, il a structuré et fait évoluer un dispositif de gestion des risques qui, à l’origine, se limitait à l’essentiel réglementaire. Dans un environnement en forte croissance, il a su mettre en œuvre des outils, des processus et des dynamiques collaboratives pour élever le rôle du risk management à un niveau stratégique. Son témoignage, technique et sincère, illustre les défis concrets d’une fonction souvent invisible mais absolument essentielle.
Interview
" GSF Tech Advisor : Bonjour, nous sommes ravis de vous rencontrer dans ce cadre et de recueillir votre retour d’expérience. C’est toujours enrichissant de pouvoir échanger avec un professionnel aussi impliqué, et d’explorer ensemble les réalités d’un métier en pleine transformation.
V.P. : Le plaisir est partagé. C’est une belle opportunité de mettre des mots sur un quotidien souvent dense, et de prendre un peu de recul sur ce que l’on construit au fil du temps.
GSF, Q : Pouvez-vous revenir sur votre parcours avant et depuis votre arrivée dans votre société actuelle ?
V.P. : J’ai commencé en tant que Risk Manager dans une autre société de gestion entre 2018 et 2019, une première expérience très formatrice sur les aspects techniques du métier. En 2019, j’ai rejoint ma société actuelle comme Risk Manager. À partir de 2020, j’ai également exercé ce rôle au sein d’une entité du même groupe, jusqu’en 2023. Et depuis 2024, j’occupe le poste de Head of Risk Management. Ces différents environnements m’ont permis d’acquérir une vision complète de la fonction risque, en conjuguant structuration, implémentation opérationnelle et proximité stratégique avec les équipes de gestion.
GSF, Q : Pouvez-vous nous parler de votre arrivée dans votre société actuelle et de vos premiers défis ?
V.P. : Lorsque je suis arrivé dans ma société actuelle, l'équipe était constituée d'une trentaine de personnes. C'était un environnement très stimulant, porté par une dynamique de croissance. Le dispositif de gestion des risques était fonctionnel mais perfectible. Ce contexte m'a permis d'être pleinement acteur de la construction d'une approche plus poussée, en développant des outils sur mesure, en automatisant les processus clés et en renforçant la qualité de nos analyses. Cela m’a aussi permis de positionner la fonction comme un appui stratégique aux gérants et aux équipes support.
GSF, Q : Comment s'est construit votre suivi des risques au fil du temps ?
V.P. : Le suivi s'est progressivement enrichi. Nous avons optimisé l'utilisation de nos systèmes internes et intégré des sources de données externes pour affiner nos analyses. En parallèle, j’ai automatisé de nombreux processus internes, liés directement ou indirectement à la gestion des risques. En raison de mon profil technique et technophile, je me suis également vu confier le contrôle de l’intégration et de la qualité des données, ainsi que la maintenance des connexions entre nos développements internes et notre outil de gestion de portefeuilles. Depuis peu, je travaille également sur un outil de visualisation des données. Avec du recul, je constate que mon poste s’est considérablement étoffé. Mon périmètre s’est élargi à des sujets qui, initialement, ne relevaient pas du Risk Management. Ce sont des responsabilités que j’ai naturellement prises en charge, mais ces casquettes multiples prennent du temps et réduisent l’espace disponible pour me consacrer pleinement à mon cœur de métier : l’analyse des risques.
GSF, Q : Vous avez travaillé sur plusieurs systèmes front-to-back. Quelle leçon tirez-vous de ces expériences ?
V.P. : Travailler sur deux solutions très différentes, l'une offrant une grande liberté de développement interne, l'autre très structurée et encadrée, m'a permis de mieux appréhender les avantages et les limites de chaque modèle. Cela me donne aujourd'hui une base solide pour évaluer les choix technologiques de façon pragmatique, en fonction des ressources internes et des objectifs à long terme. Ce recul est essentiel dans une entreprise en croissance, où chaque outil doit pouvoir évoluer sans devenir une contrainte.
GSF, Q : Quelles sont aujourd'hui les principales difficultés opérationnelles que vous constatez ?
V.P. : Certaines activités opérationnelles, comme la maintenance des imports, la surveillance des connecteurs ou encore la gestion du référentiel interne, monopolisent beaucoup de temps. Ces tâches, bien que cruciales, détournent l’attention du cœur de métier. Par exemple, je suis amené à gérer moi-même plusieurs de ces sujets, ce qui rallonge significativement ma feuille de route. Déléguer ces missions à des profils spécialisés est une priorité pour me recentrer pleinement sur l'analyse des risques, le développement de méthodologies spécifiques et l’accompagnement stratégique des gérants.
GSF, Q : Est-ce qu'une réflexion plus globale est engagée au niveau de votre entreprise sur les outils et solutions utilisés ?
V.P. : Dans le passé, nous avons échangé avec différents éditeurs, mais la forte sollicitation commerciale a généré une certaine réticence. Aujourd'hui, l'idée serait plutôt de prendre le temps de faire une veille technologique sélective, en se concentrant sur des solutions alignées avec nos besoins, qu'elles soient issues d'acteurs majeurs ou de nouveaux entrants. L’important, c’est la cohérence entre les outils, la stratégie métier et les compétences internes.
GSF, Q : Comment gérez-vous aujourd'hui la diversité des outils internes ?
V.P. : Nous fonctionnons avec une combinaison d'outils internes et de solutions spécialisées. Cette hybridation offre de la souplesse, mais complexifie la maintenance. Il est important de maintenir une vision claire de l'ensemble du système pour garantir sa cohérence et sa sécurité. Cette complexité, si elle est bien encadrée, peut être une force. Mais elle demande un pilotage fin et du temps dédié.
GSF, Q : Avez-vous identifié certains freins au changement technologique dans vos interactions transverses ?
V.P. : Oui, notamment dans certaines fonctions du Front Office où l’usage d’Excel reste très prédominant, parfois avec des macros VBA utilisées depuis des années. Ce sont des outils maîtrisés, qui donnent une impression de contrôle et de performance. Mais cela ralentit parfois l’adoption de solutions plus modernes et automatisées. Le défi, c’est de faire preuve de pédagogie et d’accompagnement : proposer des formations, montrer des gains concrets, et surtout respecter les rythmes d’appropriation.
GSF, Q : Quels sont les grands axes de réflexion pour l'avenir ?
V.P. : Plusieurs orientations sont envisageables : renforcer l'automatisation des processus internes, optimiser la gouvernance des données, simplifier notre architecture IT, structurer une équipe Data Management dédiée, ou encore explorer les apports des nouvelles technologies pour alléger la charge opérationnelle et renforcer nos capacités analytiques. L’objectif est toujours le même : améliorer la fluidité, fiabiliser la donnée, et se recentrer sur la valeur ajoutée métier.
GSF, Q : Selon vous, quelles compétences seront les plus stratégiques à intégrer dans les années à venir ?
V.P. : Il y a bien sûr le besoin croissant de compétences techniques — en gestion de données, en automatisation, en analyse quantitative. Mais il ne faut pas sous-estimer les soft skills : la capacité à dialoguer avec les gérants, à comprendre les objectifs métier, à faire le lien entre l’opérationnel et le stratégique. C’est ce qui fera, demain, la différence.
GSF, Q : Comment conciliez-vous la croissance rapide de votre société avec les exigences de rigueur liées au Risk Management ?
V.P. : C’est un équilibre permanent. La croissance implique souvent plus de complexité, plus de données, plus d’acteurs. Le rôle du Risk est d’accompagner cette dynamique tout en veillant à ce que les fondations restent solides. Cela nécessite à la fois des outils adaptés, une gouvernance claire et un dialogue permanent avec les autres fonctions.
GSF, Q : Quid de l'utilisation de nouvelles technologies comme l'IA ?
V.P. : Nous observons avec intérêt les évolutions en matière d'IA. Des outils d'assistance à la recherche d'information ou à la génération de rapports pourraient à terme s'insérer dans notre dispositif pour faciliter certaines tâches récurrentes. L’important est de rester curieux, tout en gardant une approche raisonnée et ciblée.
GSF, Q : Un dernier mot avant de conclure cet échange ?
V.P. : Ce type d’échange est toujours utile : il permet de prendre du recul sur ce que l’on construit au quotidien, de formaliser les constats, mais aussi d’imaginer de nouvelles pistes. J’espère que ce partage pourra nourrir d’autres réflexions dans des contextes similaires.
GSF : Merci pour ce témoignage à la fois technique, honnête et visionnaire. Votre parcours, vos initiatives et votre recul éclairent des problématiques clés que rencontrent de nombreuses fonctions transverses dans les sociétés de gestion. C’est un plaisir d’avoir pu recueillir votre retour d’expérience dans ce format."
Cette interview a été menée par Gwendoline Said, fondatrice de GSF Tech Advisor, auprès d’un professionnel du Risk Management dans une société de gestion indépendante. Merci à lui pour sa disponibilité et la richesse de son partage.
Clés de réflexion pour les professionnels de la gestion – GSF Tech Advisor
1. Architecture IT : all-in-one vs modulaire
Chaque modèle a ses avantages. L’important est d’aligner la stratégie technologique avec les moyens humains et les ambitions long-terme.
2. Autonomie ou support éditeur ?
Plus d’autonomie demande plus de ressources internes ; plus de support implique une dépendance, mais aussi une décharge opérationnelle utile. À équilibrer selon son organisation.
3. Trouver la bonne balance autonomie/support client
Certains outils permettent une grande personnalisation interne, d'autres nécessitent de passer systématiquement par l'éditeur pour tout ajustement. Le choix dépend de la capacité à faire vivre la solution en interne, mais aussi de la volonté de préserver les équipes des charges techniques.
4. Préserver les profils techniques transverses
Certains experts voient leur périmètre s’étendre de manière non formalisée. Il faut objectiver cette charge et prévoir des relais adaptés pour maintenir leur efficacité sur leur cœur de métier.
5. Conduite du changement en Front Office
L’adoption d’outils passe par un langage adapté : sécurité, rapidité, simplicité. Le respect des habitudes métiers est essentiel à toute transition réussie.
6. IA : intérêt et lucidité
L’IA peut faire gagner un temps précieux, mais chaque usage doit être justifié et bien intégré à la réalité du métier.
7. Gérer la surcharge invisible
10 à 15 % de temps technique hors périmètre métier, ce n’est pas anodin. En parler, le mesurer et agir en interne est un enjeu clé.
Conclusion :
Ce témoignage met en lumière une problématique structurelle que rencontrent de nombreuses sociétés de gestion en forte croissance : comment préserver la valeur ajoutée métier face à la complexité technologique et opérationnelle ?
« J’aimerais me recentrer sur l’essence même de mon métier : l’analyse fine des portefeuilles, la compréhension des risques spécifiques, et le dialogue stratégique avec les gérants. C’est ce qui m’anime depuis le début. » – V.P.
En conjuguant autonomie, vision stratégique et appétence technique, de professionnel incarne cette nouvelle génération de Risk Managers, capables de piloter la transformation sans perdre de vue leur rôle fondamental : analyser, anticiper, accompagner.
Merci à lui pour cet échange inspirant, que nous espérons utile à tous ceux qui œuvrent à l’interface entre gestion, données et systèmes.
GSF Tech Advisor
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